par Patricxe Cadet, Jean Moreau, Annie Bouchard
Aujourd’hui dans notre pays, appuyée par une propagande outrancière, chaque destruction de seuil de moulin est fêtée comme une victoire, alors que c’est un drame, non seulement pour notre patrimoine, notre histoire, nos racines, mais aussi contre la biodiversité et la faune aquatique en particulier. Pourquoi l’Europe, dont la législation s’impose à la nôtre, si prompte à verbaliser dans d’autres circonstances, n’a, pour l’instant, jamais proféré la moindre remarque devant l’anéantissement des potentiels multiples du 3e patrimoine de France ?
Non, les moulins ne font pas disparaître les poissons
Sans même avoir recours à des observations biologiques, en mettant par exemple en parallèle les 5 ans de durée de vie moyenne d’une truite et les 1 000 ans d’existence des moulins, qui font qu’on peut se demander comment il est possible d’observer cette espèce aujourd’hui, on peut affirmer que
c’est précisément quand l’Homme a abandonné l’énergie hydraulique propre, pour la remplacer par les énergies fossiles, que les poissons ont commencé à disparaître, vers le milieu du XIXe siècle. En effet, les résidus de la combustion des hydrocarbures ont modifié non seulement la consistance mais
l’âme de l’eau, tout autant que ceux de l’air que nous respirons, d’une part avec les pollutions chimiques collatérales et d’autre part en attisant le réchauffement climatique qui a provoqué une augmentation substantielle de la température de l’eau tout en aggravant l’irrégularité des écoulements aussi bien dans la violence des crues que dans l’intensité des périodes de sécheresses.
Ressource d’eau douce ?
Peut-on encore parler d’eau « douce » quand en consommer un verre prélevé directement dans la rivière risque de vous intoxiquer ? C’est d’eau « empoisonnée » qu’il faut parler aujourd’hui. On veut nous faire croire que cette eau « douce » qui passe par un processus extrêmement complexe de
purification industrielle pour devenir potable pour les Hommes, n’aurait aucun effet toxique sur les poissons qui y vivent en permanence ? Ce serait extrêmement étonnant, mais avec beaucoup de mauvaise foi on peut faire accepter cette idée fausse simplement parce que, malheureusement,
l’eau d’aujourd’hui ressemble à l’eau d’hier. Les éléments qui la transforment restent invisibles et c’est cette absence de visibilité de la toxicité qui conduit à la négation coupable de la véritable origine des facteurs responsables de la disparition des poissons.
À qui profite le mensonge ?
Alors pourquoi incriminer les moulins ? C’est justement pour s’assurer de la visibilité de ses actions que l’administration cible les moulins, pour que la population se sente rassurée par des opérations concrètes, suffisamment spectaculaires pour faire oublier l’absence d’interventions sur le fond du
problème, qu’avec des moyens de propagande mensongère illimités, financés sur l’argent public, on présente LA solution pour obtenir de l’eau propre et « vivante ». Pourtant, comment le retrait de quelques pierres dans un cours d’eau peut éliminer la pollution, freiner le réchauffement climatique,
ramener les poissons et l’eau propre dans les rivières ? Le plus dommageable, c’est qu’en enlevant ces quelques pierres sur lesquelles les rivières passent depuis des siècles, on se prive de l’un des leviers les plus efficaces pour réduire la pollution et freiner le réchauffement climatique, et rétablir un équilibre naturellement propice au retour des poissons, grâce à la production d’énergie renouvelable. En ce moment même, alors que la France, organisatrice de la
COP 21, se déclare prête à faire tous les efforts nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique, son administration sur le terrain exige des producteurs d’énergie hydraulique
la mise en place de dispositifs au coût exorbitant limitant la capacité de production, et dont le seul objectif est d’entraîner
son abandon, conduisant à forcer les consommateurs à utiliser des énergies fossiles pour compenser et donc à produire du gaz à effet de serre. « Les pollueurs devront être les payeurs »
entend-on, mais qui fera payer l’administration responsable d’une telle pollution, alors qu’elle est chargée justement de poursuivre les pollueurs ?
Avenir économique et écologique
Détruire les seuils est un témoignage d’échec et d’ignorance. Souvenons-nous que nous avions aussi jugé nécessaire de supprimer les haies et les méandres des rivières, que maintenant on reconstitue à grand frais parce qu’ils étaient fort utiles ! Équiper les moulins permettrait à ces vestiges de nos
racines industrielles d’épargner plusieurs millions de tonnes de CO2 par an en relançant la force motrice hydraulique propre, sans compter les services à l’environnement rendus indirectement et gratuitement par les seuils, et la gestion de l’eau par le moulin : destruction de l’azote, immobilisation du phosphore, fixation du gaz à effet de serre, oxygénation de l’eau. Équiper permettrait à notre 3e patrimoine de France de restaurer les services qu’il a toujours rendus à la population, tout en créant les conditions indispensables à sa propre sauvegarde et au retour de nos poissons les plus emblématiques. Ce n’est ni en relâchant des milliers d’individus des espèces en voie de disparition, ni en tentant d’enlever les espèces envahissantes, ce qui est impossible, qu’on réussira à restaurer notre biodiversité originelle. Le rééquilibrage se fera naturellement quand le milieu sera redevenu propice à nos espèces endémiques qui se retrouveront alors en concurrence favorable avec les espèces envahissantes.