Quelques idées à développer auprès de nos élus…

Résumé de l’argumentaire FFAM par Patrice Cadet

 

Les moulins, les barrages, les canaux, les étangs… ont été construits pour promouvoir des activités industrielles. Leur disparition n’entraînerait aucun inconvénient pour notre développement puisque aujourd’hui des alternatives existent. Il est indéniable que durant 20 siècles, la faune aquatique a largement profité de cette artificialisation des cours d’eau qui hébergent encore maintenant une biodiversité importante.

 

Faute de connaissances et en niant l’histoire, certains décideurs se sont réfugiés derrière l’idée rassurante que c’étaient ces ouvrages qui étaient à l’origine du déclin récent de la biodiversité et que leur destruction allait permettre de voir réapparaître même les espèces emblématiques les plus rares. Cette stratégie s’est avérée désastreuse car la disparition des espèces intervient au niveau mondial, même dans des zones sanctuarisées où l’homme n’est pas présent, mais où les conséquences de son existence provoquent des modifications environnementales totalement incompatibles avec le maintien de la vie animale ou végétale que l’on espérait protéger en l’isolant.

Faire table rase des ouvrages non naturels associés à l’eau provoque un bouleversement considérable d’un écosystème stabilisé depuis des siècles, qui entraîne une disparition des espèces endémiques associées, sans pour autant améliorer le milieu destiné à recevoir certaines espèces en perdition. Et ceci, d’autant plus que la longue période de stabilité nécessaire à la reconquête de ce nouveau milieu auquel elles n’ont jamais été confrontées n’existe plus à cause du réchauffement climatique et de la pollution.

Pour les espèces amphihalines ou d’eau douce la France procède exactement à l’inverse de ce qui est fait pour toutes les autres espèces vivantes en voie de disparition, c’est-à-dire la protection des reliquats de l’écosystème où elles évoluent en évitant toute perturbation physique majeure de leur habitat. Aujourd’hui, les seuils sont l’assurance qu’il y aura demain de la vie dans la rivière, au bord de la rivière et sur nos côtes maritimes.

Paradoxalement, la restauration de la continuité écologique qui a conduit à favoriser l’écoulement de l’eau dans les rivières et vers la mer a en effet empêché la création des réserves indispensables pour compenser la baisse globale prévisible des masses d’eau sous l’effet du réchauffement climatique. Les records de sécheresse et de chaleur battus année après année sonnent l’alarme sur l’urgence de la situation parce que la condition sine qua non pour préserver la biodiversité aquatique, quelle qu’elle soit, c’est la présence d’eau en permanence dans le cours d’eau.

Vouloir figer l’évolution naturelle de la biodiversité est totalement utopique puisqu’il n’est pas possible de stopper le développement industriel du monde, ni de limiter la croissance de la population humaine. Ce qui est proposé, c’est d’accepter que certaines espèces puissent disparaître temporairement, en mettant tout en œuvre pour en retarder l’échéance, autrement dit en favorisant le développement des moyens de lutte contre la pollution et le réchauffement climatique, mais aussi en multipliant les dispositifs pour conserver l’eau. Dans ce domaine, la réhabilitation des seuils et des moulins est une option majeure car elle permettra d’amplifier les processus d’autoépuration de l’eau qui s’y déroulent et d’accroître la production d’énergie renouvelable tout en retenant l’eau indispensable au refuge de la faune endémique aquatique résiduelle. Rendre certains seuils infranchissables pour créer des réserves biologiques s’avère également indispensable pour protéger la diversité génétique qui existe encore au sein de la faune aquatique endémique lorsque,​ par hasard, elle a été préservée, grâce à des obstacles, de la pollution génétique apportée par les espèces domestique relâchées pour favoriser la pêche commerciale. Autant de fonctions qui n’étaient ni connues, ni prévues au moment de la construction des moulins. En faisant ce choix radicalement opposé à la stratégie actuelle, il sera possible de ralentir la dégradation du milieu dulçaquicole continental, et par conséquent de ralentir la disparition de notre biodiversité.

Il est également proposé d’accepter que dans les cours d’eau coule de l’eau polluée et plus chaude qu’auparavant. Mais au lieu de considérer ce milieu comme dégradé, il faut le considérer comme un milieu différent, propice au développement de nombreuses espèces de poissons classées à tort comme envahissantes mais qui ont l’avantage d’apporter de la vie dans des milieux aquatiques où ce qui y vivait avant est condamné à disparaître. Le choix d’accompagner la reconstruction d’une autre biodiversité aquatique en apportant volontairement de nouvelles espèces est une stratégie gagnante si on en juge par la biodiversité exceptionnellement riche qui s’est établie involontairement grâce à la construction de plus de 100 000 moulins sur les rivières de France au moyen-âge. L’objectif est d’agir non pas en fonction des espèces qui se trouvaient dans les cours d’eau il y a 2 siècles, mais en fonction de ce qui pourra y survivre dans un siècle. Aujourd’hui et plus encore demain, aucune espèce animale ne pourra survivre sans l’aide de l’homme.

S’excuser de proposer la destruction des moulins sous prétexte qu’ils ne produisent plus de farine ou encore que les petites installations ne sont pas rentables, c’est oublier un peu vite que la 3e révolution industrielle qui émerge attache autant d’importance à la rentabilité écologique qu’à la rentabilité économique et à la solidarité locale. L’extraordinaire longévité des turbines, qui en fait l’outil le plus durable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre comme dispositif de chauffage associé à production locale d’électricité ou d’hydrogène, surtout en zone rurale profonde, propulse les moulins dans l’avenir en les transformant en stations services du futur, parfaitement réparties sur la totalité du territoire français,​ et notamment le moins équipé parce que le moins peuplé. En plus, grâce à la faculté d’autoépuration, de rétention de l’eau et de refuge indissociable du seuil les moulins et leurs ouvrages sont les sentinelles écologiques garantes du maintien de la qualité du milieu aquatique, notamment de nos cours d’eau les mieux préservés. Un potentiel qui justifie le soutien de la nation pour favoriser la remise en activité des moulins et le maintien des seuils, dont la transparence environnementale révélée par des siècles d’existence n’est plus à prouver.

L’échec dramatique de la stratégie de restauration de la continuité écologique était inscrit dans la démarche elle-même qui a consisté à penser que l’on pouvait cadrer et figer des systèmes aussi complexes que ceux qui régissent la diversité écologique, avec une loi universelle, unique et rigide, au détriment de l’intelligence.