Anthony Martin
Extrait d’un article de 5 pages avec carte et photos de l’auteur.
Etudier les moulins à marée, c’est se préoccuper de l’un des éléments les plus caractéristiques du littoral. Etablis à l’écart de la vie citadine, dans un cadre naturel atypique, ils sont devenus objet de curiosité pour les promeneurs et les habitants. Constructions souvent humbles mais impressionnantes, les moulins à marée ne sont pas seulement un bâtiment en pierre sur une digue dans un paysage bucolique. Ils sont les témoins d’une activité humaine et technique qui remonte au moins au VIIIe siècle. Les moulins à marée sont sans conteste des constructions utilitaires d’un intérêt architectural souvent moindre par rapport à d’autres monuments comme des églises ou des manoirs, mais leur intérêt réside ailleurs, dans leur insertion environnementale. En effet, construits pour la majorité d’entre eux entre le XVe et le XIXe siècle, ils sont remarquables par leur installation dans un site maritime intrinsèquement hostile mais dont les hommes ont réussi à tirer le meilleur parti. En cela, les moulins à marée sont les marqueurs d’un certain avancement technique, d’une situation économique mais aussi d’une forme d’organisation sociale.
La Bretagne est une des régions qui connaît les plus fortes marées du monde et, dès le XIIe siècle, ses habitants ont commencé à utiliser cette admirable source d’énergie qui a l’inconvénient d’être intermittent mais qui possède également l’avantage d’être régulière et intarissable. On estime à environ une centaine le nombre de moulins qui ont façonné le paysage côtier breton. Ce chiffre peut paraître modeste comparé aux 3 000 moulins à vent ou aux 5 000 moulins à eau en fonctionnement sur l’ensemble du territoire breton au milieu du XIXe siècle. Cependant, si l’on prend en considération les 1 400 km de côtes, cette centaine de moulins maritimes occupe finalement une place majeure. Leur installation n’a été possible qu’à certaines conditions, et en particulier grâce à un découpage des côtes propice à la construction d’une digue, mais également en fonction de l’importance du marnage. La plupart des sites potentiellement utilisables sur le territoire ont été aménagés, ce qui donne une densité de moulins à marée importante et unique. On y repère 2 centres de concentration majeurs : l’estuaire de la Rance et le Golfe du Morbihan.
Avec près de 1 000 km de côtes, continent et îles réunis, le Morbihan est un des départements français possédant la plus importante frange côtière. Le nom du département est lié à la présence d’un golfe, une petite mer intérieure, qui se traduit en breton par « Mor Bihan ». Formé de la confluence de plusieurs rivières (celles d’Auray, du Vincin, de Noyalo et de Vannes), le golfe qui s’est formé il y a environ 14 000 ans est délimité à l’ouest par la baie de Quiberon et à l’est par la presqu’île de Rhuys. Il ne communique avec l’océan que par une étroite embouchure d’un kilomètre de large entre les pointes de Port-Navalo et de Kenpenhir. Cette petite mer présentait toutes les caractéristiques géomorphologiques pour l’établissement de moulins à mer sur son espace côtier. En effet, on y retrouve un découpage du littoral maritime particulier, fait de pointes et d’anses qui permettent aisément et en de multiples endroits, l’installation de digues, éléments à la base même de l’existence d’un moulin à marée. Le territoire du Golfe du Morbihan, aujourd’hui classé Parc naturel régional, présentait sur son littoral environ 15 moulins à marée. Le plus ancien aurait été construit en 1186 (moulin de Pencastel) faisant ainsi du territoire un des précurseurs bretons de l’implantation de moulin hydraulique (le plus ancien étant celui de Saint-Coulomb en Ille-et-Vilaine en 1181) mais aussi parmi les premiers à l’échelle mondiale avec le Pays Basque (1120-1125), le Hampshire (1132) ou encore la région de Zuicksee en Hollande (1220). Les moulins à marée continueront de s’y développer jusqu’au milieu du XIXe siècle, faisant du Golfe du Morbihan un des grands centres mondiaux de l’utilisation de la force marémotrice.