Par Patrick Birée
Université de Caen. Doctorant au CRHQ – UMR 6583 – Centre de Recherche d’Histoire Quantitative. Sujet de Thèse : «Moulins et meuniers de l’Orne, XVIIe-XXe siècles », sous la direction de Jean-Marc Moriceau. Article de 6 pages avec cartes et photos
L’évolution des moulins ornais au cours du XIXe siècle. Le choix de l’implantation des sites de production dans l’industrie (dans son acception la plus large), notamment les moulins à farine, s’est effectué en fonction des qualités physiques et hydrologiques des lieux. Il n’est donc pas étonnant que l’essor l’industriel du XIXe siècle s’appuie en premier sur ces caractéristiques, soit en utilisant des sites tels quels, soit en les transformant, ou soit en en construisant de nouveaux.
Par l’installation d’entrepreneurs qui changent d’activité en gardant une partie des aménagements existants, on assiste à un « transfert de technologie et de savoir-faire d’une activité en déclin (par exemple la meunerie) vers une autre en expansion (par exemple le textile) », selon l’expression de Sandra Poëvara.
Dans les deux décennies 1820/1830, la pluri-activité de ces petits établissements s’inscrit toujours dans une production de type artisanal ou proto-industriel. Yannick Lecherbonnier donne les éléments suivants : vers 1825, on recense 900 établissements hydrauliques, en nette augmentation, ce qui représente 78% de l’ensemble de l’infrastructure de production.
Parmi eux, on décompte 759 moulins à grains soit 84,3% de l’ensemble, les 15,7 % autres se répartissant dans les activités du textile, de la métallurgie, de la tannerie, de la papeterie.
Que deviennent ces moulins lors de la phase d’industrialisation ? Le nombre des moulins à grains culmine dans le premier tiers du XIXe siècle avec 759 sites en 1825, mais les évolutions techniques vont être déterminantes pour beaucoup d’entre eux. Dès le milieu du XIXe siècle, le domaine de la meunerie traditionnelle est mis en difficulté. Si quelques moulins d’ancienne facture maintiennent leur activité, beaucoup d’autres disparaissent. Les chiffres sont éloquents : ils ne sont plus que 163 sont en activité en 1888. Un certain nombre ont été convertis avant 1850 en usines textiles ou métallurgiques. De nouveaux ont été installés, mais ces 57 créations ne compensent pas les disparitions.
La mouture traditionnelle cède peu à peu devant l’utilisation de turbines, de machines à vapeur et de cylindres broyeurs. C’est, selon Yannick Lecherbonnier, la transformation du système énergétique et productif qui amène la disparition des petits moulins, qui pour beaucoup ne produiront plus que de la farine pour animaux. Ils cèdent au profit de plus grosses infrastructures, les minoteries, une trentaine en 1919. Celles-ci développent une architecture sur plusieurs niveaux correspondant aux différentes étapes de la mouture. La minoterie Russo de Flers, par exemple, présente en 1910 une machinerie à vapeur, 32 paires de cylindres broyeurs et des planchisters.
Puis l’électricité, par les moteurs électriques, va peu à peu supplanter la machinerie à vapeur au cours de la première moitié du XXe siècle.
Alors que les petits moulins hydrauliques cessent toute activité de mouture pour le commerce après la Seconde Guerre mondiale, hormis quelques-uns qui gardent la mouture pour les animaux, plusieurs minoteries continuent de fonctionner jusqu’à nos jours (Dubois-Rioux à Argentan, Maudet à Saint-Germain-du-Corbéis, Deslandes à Saint-Pierre-du-Regard, Croissant à Couterne, la société des Minoteries ornaises à La Madeleine-Bouvetet à Bursard).