Le moulin-tour de Templemars : suite

C. Technique de la mise au vent, par Yves Coutant

Extrait d’un article de 6 pages avec photos er dessins

 

Les chemins de roulement

 

Les moulins-tours de Templemars et de Seclin possédaient un système permettant l’orientation de la calotte. Malheureusement, les comptes des réparations qui y ont trait sont fragmentaires et difficiles à interpréter. N’oublions pas que cette partie du moulin médiéval n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie et que chaque région a développé dans ce domaine une technique et un lexique propres. Comme, d’autre part, le système mis en œuvre en Flandre au XIVe siècle ne semble pas avoir donné entière satisfaction – il fut remplacé en 1570 par un autre système que nous étudierons plus tard –, il est dangereux d’interpréter les moulins médiévaux flamands non seulement à la lumière des actuels moulins flamands à calotte mobile, mais aussi à la lumière des moulins‑tours d’autres régions.

 

Pour le moulin de Seclin, je ne possède qu’un passage se rapportant au chemin de roulement. Et déjà il contient un hapax sémantique :

 

Premiers, un chem[i]n tout neuf de coer de quesne [= cœur de chêne] desoubs et deseure et nouvelle garde entredeux qui maine les roliaus [= qui conduit les rouleaux], et remettre en euvre tout ce qui seroit trouvé de boin en le warde dedens.

Item, neuves pennes [= pannes] assises sur ledit chemin. Item, deseure lesdictes pennes un comble neuf couvert d’eschannes [= bardeaux], estoffé de baus [= poutres], aniel [= joug, sommier du marbre], arbre et volans (…)

ADN, B 4327 (1391/2) 53r° Seclin

 

En ce qui concerne les travaux au système de mise au vent de la calotte, le scribe distingue d’une part le remplacement du chemin de roulement, qui se compose de deux parties et d’une garde intermédiaire, d’autre part le remplacement des parties défectueuses de la warde dedens. Les comptes de Templemars nous permettront d’étudier ces chemins de roulement plus en détail, mais dès à présent il nous faut nous arrêter aux garde et warde dedens, car ces termes ne figurent pas dans les comptes de Templemars. En picard, la garde ou warde peut désigner une espèce de rebord. D’après l’extrait susmentionné, le système de mise au vent se composerait d’un chemin fixe ou chemin dormant qui couronne la maçonnerie de la tour, d’un chemin tournant qui porte les pennes, c.-à-d. les deux poutres parallèles formant l’assise du toit, et d’un anneau concentrique (garde) pourvu de rouleaux en bois

 

La présence de la garde ainsi que l’emploi du verbe maine suggère un « chapelet » indépendant de rouleaux tel qu’il existe encore sur de nombreux moulins flamands

 

J’en conviens, la plupart des spécialistes ont toujours prétendu que ce « chapelet » n’aurait vu le jour en Flandre que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Comme c’était le cas pour le moulin à guède (voir Moulins de France n° 98), nous serons ici aussi bloqués par des problèmes lexicologiques aux moments cruciaux de nos investigations ! Quoi qu’il en soit, confronté aux textes de Seclin et de Templemars, même P. Bauters, le spécialiste du moulin flamand, a revu son point de vue et, dans son dernier livre, il renonce à une datation tardive du « chapelet » de rouleaux indépendant en Flandre. Puisqu’il n’y a aucune raison de croire que les deux moulins de Seclin et de Templemars, distants de quelques kilomètres à peine, aient eu des systèmes de roulement différents, la warde dedens serait le chemin de roulement supplémentaire à l’intérieur (dedens) de la tour, qui figure aussi dans les comptes de Templemars et que nous étudierons dans les paragraphes suivants. Qu’il s’agisse ou non d’un « chapelet » de rouleaux tel que nous le voyons encore sur certains moulins flamands, la première surprise vient du fait que les deux moulins se servaient précisément de rouleaux et non pas de patins. En gros deux systèmes permettent l’orientation de la calotte : les patins, coussinets en bois bombés sur lesquels glisse le chemin tournant et les rouleaux ou galets.

La simplicité du premier système a longtemps fait penser qu’il avait vu le jour avant l’autre. Les moulins de Seclin et de Templemars nous obligent à revoir cette opinion, du moins pour la Flandre. Les rouleaux y furent employés dès l’origine dans le mou­lin‑tour. Ce système de roulement se basait sur la technique des premiers bâtisseurs qui faisaient glisser les plus lourdes charges sur des troncs d’arbre, mais pour autant que je sache, c’est sur les moulins‑tours que le roulement circulaire fut mis au point. Ce roulement à troncs d’arbre ne préfigure-t-il pas d’ailleurs le « chapelet » de rouleaux indépendant ?

 

Malgré sa conviction que le chemin de roulement à rouleaux a existé au XVIe siècle, A. Sipman n’en a pas trouvé de mention explicite antérieure à 1600. Avant la découverte des comptes de Seclin et de Templemars, qui aurait pu imaginer que la Flandre s’en servait déjà au XIVe siècle ? Pour R. L’Heureux, qui a étudié les sources françaises, l’attestation la plus ancienne du mot chemin (de roulement) date de 1698 !

 

En 1388, le receveur de la baronnie de Cysoing, responsable des comptes de Templemars, cite des rondielles, mais ne donne guère de précisions. Il faut attendre 1405 pour avoir des détails supplémentai­res. Cette année‑là, le charpentier refait le chintre, les courbes et le quemin dou tour courant sour le moijenne de le machonnerie.  Le même charpentier confectionne 17 rondielles qui portent le comble du moulin et sur quoy il tourne. Les meilleures descriptions datent de 1437, de 1462 et de 1473. Vu l’importance et la complexité de la matière, le lecteur ne m’en voudra pas si je cite les passages les plus marquants :