Moulin de Loustau
A Carresse (Pyrénées Atlantiques), le Moulin de Loustau, devenu par la suite « de Lenguin »
Le moulin à eau de LOUSTAU, est appelé aussi « moulin du haut » pour le distinguer d’un autre, dit « de Carresse » ou « moulin du bas », car situé deux kilomètres en aval sur la rivière « Saleys ». Les actes d’état-civil portent le nom de LOUSTAU, ou l’oustaù, ou encore « Loustau-Péborde ». Ce moulin faisait partie à l’origine des propriétés du marquis de Monein jusqu’à ce que celui-ci le vende à Pierre LOUSTAU, administrateur des biens du château. Avant cette vente, on l’appelait aussi « Moulin dou bec d’Espe », selon A.Ichas (voir plus loin). Et aujourd’hui il est « le moulin de LENGUIN », avec un E ; mais l’orthographe ne signifie rien, car le nom a probablement été attribué bien après le départ de la famille, en souvenir du dernier occupant.
Il y avait un troisième moulin, au sud du village, sur le gave d’Oloron, dans l’île du Bidala, ce qui fait tout de même beaucoup pour un village d’environ 700 habitants.
Ce petit moulin, installé sur la rive droite du Saleys, au pied des crêtes boisées qui bornent la commune au nord, avec notamment le « Turon de Lascours », ne manque pas de charme, bien qu’un peu isolé à l’est du village. C’est une construction massive, carrée, surmontée d’un étage d’habitation, et flanquée d’un bâtiment bas ; le terrain consiste en un « jardin et pré le tout en un tenant de 3 arpents 3/4 et 11 escarts » soit environ 4,5 hectares.
Détails sur le fonctionnement du Moulin de LENGUIN à Carresse
Un « engorgeat », c’est-à-dire un vaste bassin de retenue, occupait presque tout l’espace au sud, alimenté par les eaux du Saleys (3). Sur le plan assez détaillé, tiré du cadastre de Napoléon établi vers 1838, on devine une construction qui d’une part barre en grande partie la rivière, et d’autre part ferme le bassin. Le système de digues et de vannes qui en assurait le remplissage, nous échappe encore un peu, d’autant que de la rivière coule plus bas d‘un bon mètre que le niveau du bassin ; du moins tel qu’on l’imagine, puisqu’une prairie s’étant aujourd’hui à sa place. Comme toute l’installation a disparu depuis l’abandon du moulin, il y a plus d’un siècle, il est probable que le Saleys a lui aussi été débarrassé des constructions qui l’équipaient. On a vu qu’une législation pointilleuse, le droit d’eau, autorisait les meuniers à aménager des digues pour créer la force motrice nécessaire à leur moulin : en perdant ce droit, ils ont dû supprimer les seuils pour libérer la circulation des sédiments et des poissons migrateurs .
Le bassin de retenue s’appuyait au moulin au niveau du premier étage, permettant une chute d’eau de plus de 2 mètres, suffisante pour entraîner la rotation de la meule, comme on a pu s’en rendre compte lors de la visite d’octobre 2022. Le canal de fuite, encore bien visible aujourd’hui, se prolongeait vers le nord avant de rejoindre le Saleys en aval par une longue boucle. Le chemin venant de Carresse passait le Saleys sur un gué (1), un peu plus haut que le pont d’aujourd’hui (2), puis passait tout contre le moulin, sur le bassin de retenue. Le plan, issu du « cadastre de Napoléon », nous a permis de comprendre l’essentiel de cette installation ; on a pu vérifier, avec ce qu’il en reste, que le dessin est fidèle dans le moindre détail.
(feuille n°4)
La mise en œuvre est délicate : on règle la vitesse d’une meule entraînée par l’eau, en combinant l’ouverture de la vanne qui laisse l’eau arriver sur le rouet, avec la vitesse d’écoulement du grain tombant de la trémie. Des systèmes ingénieux ont été inventés pour parfaire cette combinaison : eau, meule et grain. Ainsi une fois réglée, la meule peut tourner des heures sur ce régime pour peu que l’alimentation en grain soit continue. La puissance requise est faible. Quelques kilowatts pour une paire de meules s’obtiennent avec une chute de quelques mètres et un débit de quelques centaines de litres par seconde.
L’eau force motrice
La chambre à eau est située sous la chambre des meules, là où la roue plonge dans l’eau. Elle est constituée par les deux pans de mur et l’arche enjambant la rivière ou le canal. L’eau arrive sur la roue par un système de vannes. Le plus souvent, une pelle en bois laisse passer l’eau. Soit le meunier sors pour donner ou arrêter l’eau, soit la commande est à l’intérieur et fonctionne par un système de levier afin de mettre en mouvement ou d’arrêter les meules à volonté. La coursière, le cabicon, dirige l’eau sur les augets pour une efficacité maximum.
La roue à augets, « l’arroudet »
La forme et la dimension de la roue sont déterminés par le débit du cours d’eau, la hauteur de chute et la puissance sollicitée. La roue, l’arroudet, est constituée d’augets, « les culherous », assemblés les uns dans les autres puis cerclés de fer par le charron. Ils sont taillés dans du bois de hêtre, ou d’aulne. Il faut les refaire tous les 10 ou 15 ans car l’eau les abime. Des outils ont spécialement été conçus pour la taille des augets. La plupart des Moulins adoptent la roue en fer et fonte au cours du 19e siècle.
La Chambre des meules
C’est la pièce principale du moulin, avec un accès de plain-pied. Le sol de la pièce peut-être un plancher « le taûlat ». A l’intérieur le bois domine les odeurs sont fortes et la lumière rare. Quelques fenestrous laissent passer la lumière mais aussi aèrent la pièce. Souvent une cheminée à foyer ouvert, quelquefois complétée par un four à pain, s’appuie sur l’un des murs.
Deux paires de meules, quelquefois plus en fonction de l’importance du moulin, sont enfermées dans les archures, arcatures, coffrages démontables. Ce coffrage peut être carré, à pans en coupés, ou bien rond.
Le premier jeu de meules est pour le blé, (mole blatière), le second pour les céréales, (mole milhére)
Les meules
Les 2 meules superposées sont percées, la supérieure pour l’alimentation en grain, l’inférieure pour le passage de l’axe d’entraînement. La meule inférieure, immobile, dénommer dormante ou gisante, supporte la meule supérieure amovible, appelée tournante ou courante, en l’entraînant grâce à une pièce métallique carrée, « lanille ». Cette pièce est l’œuvre du forgeron. Les meules peuvent monolithes, d’un seul bloc, où composites, formées de 4 quartiers ou carreaux cerclés de fer. Des rainures radiales, les carres sont creusées pour améliorer l’efficacité, l’écrasement du grain et l’évacuation de la farine vers la périphérie de la meule. Le frottement de la meule peut arracher des éclats de matière nocifs à la consommation. Une meule peux travailler environ 50 à 60 ans dans un moulin usinant beaucoup. Les meuniers sont amenés à rechercher des meubles d’occasion pour réassortir leurs meules. Il faut observer la taille, la nature de la pierre, le degré d’usure, son sens de rotation et le prix. L’achat d’une meule n’est pas sans conséquences sur l’avenir du moulin. La nature des meules est adaptée à chaque céréale : le granit pour le blé, le silex pour les autres céréales. La texture du matériau fait que tel moulin est réputé pour la qualité de mouture obtenu pour une variété de grain, alors que tel autre l’est pour un autre grain. Aujourd’hui de vieilles meules peuvent se retrouver au voisinage d’anciens moulins, dans des talus, des murs de soutènement, ou servir de pavages, de seuils et de tables de jardin.
La distribution du grain : « esclop et claquet »
Le grain contenu dans la trémie, le cornalher, descend dans l’auget, l’esclop en forme de sabot qui permet de régler le débit. L’esclop est taillé dans du tilleul, car le frêne et le chêne plus durs et cassants, ne peuvent être utilisés.
On peut faire varier la position de ce sabot : plus celui-ci est bas plus le grain s’écoule, plus la vibration du tourniquet, le coseja, est importante. C’est ce tourniquet de bois, dit babillard ou claquet, qui donne le tic-tac, le « trica-traca » caractéristique des vieux moulins.
Le grain tombé dans le trou central de la meule supérieure et se trouve pris entre les 2 meules. L’espace entre les 2 meules est réglable grâce à un système de contrepoids et de poulies en fonction de l’écrasement des grains souhaité. La « mouture à la grosse » est évacuée par la force centrifuge et les carres vers l’extérieur. Elle tombe dans un coffre en bois, « le tos » d’où elle ensachée.
Des dispositifs ingénieux alertent le meunier lorsque la trémie est vide et arrêtent le fonctionnement du moulin. Un contrepoids tenu par une ficelle agite une clochette de fin de réserve, « l’esquirou ». Un épi de maïs, attaché à une corde reliée au mécanisme d’arrivée d’eau, est plongé dans les grains de la trémie et bloque l’arrivée d’eau. Le meunier doit veiller à ne pas laisser tourner les meules à vide car elles s’usent et perdent leur mordant. Il faut alors repiquer les meules. Elles peuvent aussi s’échauffer, provoquer des incendies et « cuire » la mouture. Il faut en principe recharger la trémie toutes les demi-heures. Le meunier s’est alors adapté à ne dormir que par tranches. La meule s’accélère quand le grain vient à manquer. Le changement de rythme réveillé alors le dormeur.
Le tri de la mouture : le blutoir, la barite
Coffre utilisé à partir du 16e siècle, le blutoir fait partie du mobilier de la chambre des meules. Il sert à séparer le son de la farine. Ce coffre contient un cylindre horizontal constitué de lattes de bois parallèles entourées d’un tamis de soie et tournant autour d’un axe. Le maillage de ce tamis est soumis à réglementation pour éviter les fraudes. Actionné à la main dans le moulin familial, une roue à eau entraine le mécanisme dans les moulins importants. Des marteaux de buis tapent à chaque rotation et détachent les farines et le son des soies. Jusqu’au dix-neuvième siècle, le blutage est une opération onéreuse. Seuls les riches achètent au moulin la farine tamisée. Les autres passent la farine au tamis à la maison. Certains estiment que la farine complète se conserve mieux et donc ne tamisent cette farine qu’en fonction des besoins.
Ce que nous dit Alexis ICHAS dans son « dictionnaire du Gave d’Oloron »
« Le moulin, posé sur un affluent du Saleys est mentionné en 1685 dans le terrier du village. En 1830 il est connu sous le nom de « Moulin dou bec d’Espe ». Il appartenait aux Mosquéros-Laguilhon puis aux Loustau. Les meuniers furent Jean Lenguin en 1780, Pierre Dussarrat en 1800, Jean Messe en 1810, Jean Labourdiche de 1816 à 1833, Pierre Daguerre en 1840, et enfin les Navarron de 1847 à la cessation d’activité vers 1895. Particulièrement isolé et non accessible par route goudronnée, ce magnifique moulin a été joliment restauré. (Propriété privée, même le chemin d’accès). Dans la salle à manger a été aménagée une ouverture pour apercevoir l’eau. »
Commentaire :
A été souligné ce qui est manifestement faux, et en espérant que le reste est vrai…Les meuniers d’avant 1863 cités par Alexis Ichas ont été retenus dans la liste suivante, comme étant du moulin de Loustau, alors que cette information ne figure pas sur les actes généalogiques : en revanche, les dates ont été rectifiées. Pierre Daguerre, lui, est absent des actes, ce qui ne prouve rien.
En ce qui concerne la route d’accès, elle est goudronnée depuis plus de 30 ans. Ce qu’il appelle « salle à manger » est la chambre des meules, l’atelier du moulin, dont le plancher recouvre actuellement l’eau résiduelle du canal de fuite.
Meuniers précédents au moulin de Loustau
(Nota : L’orthographe figurant sur les actes d’état-civil a été conservée)
1685 « Moulin dou bec d’Espe » mentionné dans le terrier du village.
1722 Jean DARGELÈS et Marie PROUS DIT DU CASSOU Carresse maison Loustau
1788 Jean MEFFE et Susanne MOUREAU Moulin De Loustau Peborde
1803 Jacques POUEYDOUMENGE et Suzanne BALENCY Carresse
1804 Jacques POUEYDOUMENGE et Marie PEÏRAN Carresse Moulin De Loustau Peborde
1797 Pierre DUSSARRAT et Jeanne LOUSTALOT (1810) Maison Lesca (ajouté selon Ichas)
1810 Pierre MEFFE et Catherine MARQUESTAUT (ajouté selon Ichas)
1811 Jean LABOURDICHE et Marthe CARSUZAN (ajouté selon Ichas)
1812 François LABOURDIQUE et Marie HAGET Moulin de Loustau Peborde, Moulin De Haut
1815 Louis BORDENAVE et Marie LABORDE (Selon Ichas : Moulin de Loustau)
1840 Pierre Daguerre (absent des actes, ajouté selon Ichas)
1847 Jean NAVARRON et Marie BONNEFOND, Carresse (Selon Ichas moulin de Loustau)
1863-1872 Jean LARRIEU et Anne CHAGUE-LAPLANETTE à Carresse Moulin De Haut
1883 Pierre TILHET-CHAUROU et Marie Anne PEREUILH (Moulin non indiqué)
1886 MINVIELLE Paul et Jeanne LOUSTAU à Carresse Mouly de l’Oustaü
1888-1914 LENGUIN Arnaud Urbain et SALLAHART Jeanne Marie Marcelle à Carresse Mouly de Loustau
Et ensuite, le moulin a été abandonné.
Le Saleys
Affluent du Gave d’Oloron d’une longueur de 46 km et dont la source est localisée à Vielleségure. Il traverse Salies-de-Béarn et malgré son petit débit à l’étiage, peut avoir des crues redoutables. En 1790 la crue fut telle que l’hôtel de ville de Salies fut inaccessible, et que Salies fut isolée des communes à l’entour. Contrairement à ce que l’on croit, il ne tire pas son nom de Salies mais du béarnais « saleja » qui veut dire agité, remué. Il est de fait que cet affluent du gave est particulièrement capricieux et indomptable.
Son bassin versant couvre une surface de 114 km2. Les principaux affluents du Saleys sont l’Arriougrand (7 km), les ruisseaux de Lasteulère (4 km), du Beigmau (9 km), et de Bernatère (4 km). Le Saleys appartient à la région de collines communément appelée l’Entre-Deux-Gaves. Des flancs abrupts, des sommets découpés en lanières étroites caractérisent ces collines.
Le point culminant du bassin se situe à l’altitude de 270 m sur la commune de Vielleségure, en tête de bassin versant, et le confluent à 12m. Les vallons sont encaissés à leur amont puis leurs pentes s’affaiblissent à leur aval.
Jean Paul LANGUIN
Email : jpollanguin@gmail.com